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De Mots En Maux
6 novembre 2006

Extrait de mes mémoires d'enfance, "Le pont de la Houlette"

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     Je ne savais peut être pas ce qu’était une houlette, mais le pont, lui, je ne pouvais l’ignorer tant sa présence contribuait à me ravir. Comment aurais-je pu l’ignorer d’ailleurs, lui que je devinais inlassablement chaque matin en ouvrant le large et imposant portail de mon monde.

Oh, dire qu’il ornait majestueusement au milieu du paysage eut été mensonger, il n’imposait pas non plus par le nombre impérieux de ses arches ou de ses piles et encore moins par une magistrale architecture. Il restait d’une naïve simplicité. Il faut dire qu’on ne lui demandait pas d’enjamber un obstacle infranchissable, et l’unique voûte le composant suffisait à lui conférer le titre de pont. Mon pont à moi, que j’estimais si respectable tant il fallait être initié pour en deviner la présence. Comment d’autres ouvrages, bien plus augustes, pouvaient-ils se livrer d’un seul coup d’œil aux premiers profanes passant au loin ? Et ceux-là même, que pouvaient-ils trouver de si vénérable à s’offrir sans délicatesse, sans retenue, et avec une indécente effronterie à ces regards qui viendraient sans vergogne dévorer leurs entrecuisses ? Vertueuse noblesse qu’il portait en lui, mon pont. J’aurais pu le comparer à un miséreux curé de campagne face aux prélats et autres pontifes enrubannés d’opulence, repus de somptuosités largement paradées à ces bondieusards angéliques. Tout comme j’aimais ce pont, j’aurais pu éprouver une certaine affection pour ce curé insignifiant. Mais pas n’importe quel curé ! Ah non ! Un curé du moyen âge ! Un curé du moyen âge, avec sa tonsure, sa robe en gros tissu épais marron, une cordelette en guise de ceinture et un chapelet grossier autour du cou. Un bon moine dodu et potelé, enivré et grisé, sermonnant à tout va, jurant et blasphémant au nom d’un Seigneur bienveillant et complaisant vis-à-vis de son outrageant disciple. Un curé séditieux digne de mon pont païen.

Mais de bondieuseries comme disait mon père, point n’était question à la maison.

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Et puis les curés n’étaient peut être pas comme cela au moyen âge !

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     La feuille, frêle dériveur sans cap au milieu de cet océan, allait au gré des lourdes vaguelettes que créait le courant, tour à tour menée vers une côte creusée par le ressac, malmenée dans les remous, ballottée par la tourmente de cette course sans fin. Quel drôle de destin pour cette petite feuille, qui n’avait eu de cesse d’être le jouet des bourrasques, ces souffles venus d’ailleurs, ce vent qui lui donnait un semblant de vie et qui finissait par l’arracher à son rameau pour la jeter sans un scrupule dans une nouvelle tempête. N’aurait-elle donc jamais de repos ?

Je n’avais pas cette crainte, moi. Il me suffisait d’y mettre le pied dans cet océan pour lui montrer qu’il venait de trouver plus fort que lui, que sa seule possibilité était maintenant de me contourner, sans autre effet que de me mouiller jusqu’en haut du genou. Qu’il me mouille ! Je m’en fichais pas mal. Tout océan qu’il était pour cette feuille, il n’en restait pas moins ruisseau face à moi ! Mais à quoi bon brouiller ses eaux déjà sombres et incertaines, à quoi bon soulever ses vases sournoisement habitées par d’étranges créatures ?  Ne valait-il mieux pas que je range mon audace au fond de moi, que je ne succombe pas à cette provocation gratuite, cette invitation malveillante et insidieuse ? Mon courage n’était nullement en cause. Loin de là ! Disons simplement qu’après une certaine reconsidération de ma crânerie et une rapide réflexion sur ma fanfaronnade, une indiscutable sagesse avait fini de me convaincre de garder ma chaussure au sec.

Elle coulait, la Canterane entre les grandes herbes qui accompagnaient ses sillons, se joua longtemps d’un tronc d’arbre installé là sans gêne aucune, et bien que ne sachant pas exactement d’où elle jaillissait, elle ne prenait vie à mes yeux que dans cet étriqué delta qu’elle formait avec une autre de ses voies qui lui arrivait - sans même crier garde ! - de façon perpendiculaire en pleine figure. Ce doux télescopage contribua au fil des années à créer le trou, comme nous le nommions, et lorsque l’union que l’on aurait pu croire quasi charnelle tant les entrelacements des deux eaux se voulaient lascifs et libidineux eut permit de ne plus faire de l’une et de l’autre qu’une seule et même chair, l’inconvenable indécence de cette exhibition saphique avait depuis bien longtemps jeté votre impudique regard en direction du pont. Le petit ruisseau s’engageait alors sous la voûte légèrement assombrie et suintante, et le doux murmure des clapotis s’écrasant sur les parois ranimait la torpeur de ces belles fougères acrobates et tout aussi subtilement dentelées que les toiles d’araignées qu’elles accueillaient. Deux ou trois énormes pierres recevaient ce flot, comme rendu paresseux par l’inattendue rencontre avec le dôme, et de leur cambrure généreuse, précipitaient l’indolente coulée en un bouillonnant remous. S’en suivait une interminable caresse ensorcelante le long de mes terres, qui en plus d’être miennes, me glorifiaient de cette prestigieuse idylle souveraine, ce mariage suprême qu’elles formaient avec le cours d’eau qui offrait en guise de dot, le titre de démarcation communale.

Là où mon pied foulait le sol en cet instant, mon village cessait d’être.

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Il arrivait parfois que cette gentille tranquillité se métamorphose en une fougueuse fureur, de chrysalide superbe elle se travestissait en une ordurière délurée, violant et souillant toutes les confiances que l’on pouvait ressentir face à tant de candeur. La sylphide nymphe livrait alors une extraversion démentielle, et cette schizophrénie si effrayante et attirante à la fois, me poussait à chaque nouvelle crise à l’admirer un peu plus, à la couvrir de baisers immoraux, et à me compromettre dans ses obsessifs débordements. Combien de fois on pu me retrouver impudiquement inondé de ses eaux moites, lubriquement enivré, imprégné de son odeur, et même si le vaginal pont, cette alléchante et désirable intimité caverneuse, et son bouillonnant Mont de Vénus ne m’étaient plus offerts, je n’en éprouvais pas moins de jouissance au contact du reste de son corps. Une grosse averse soutenue de quelques heures suffisait à ce que le miracle de la transformation se produise. L’eau prenait alors une consistance plus épaisse qu’à l’habitude, une teinte marron chargée d’alluvions fertiles, de branches et de bois morts venus de nulle part, et le niveau gonflait inlassablement. Les berges étaient pourtant hautes par certains endroits, peut-être un mètre ou deux, et s’en soustraire devait demander à la Canterane un effort surhumain, mais la pluie incessante la poussait toujours un peu plus dans sa colère, et rapidement – trop au goût de mes parents et pas assez du mien – elle succombait à la grisante sensation d’explorer de nouvelles limites. Alors, elle dégueulait sa rage sans retenue, toutes ces rancunes si secrètement ravalées au fil du temps, nous renvoyait à la figure son mal être et sa tourmenteuse dérision à s’amuser de nous sans modération. Ils n’avaient plus qu’à attendre impuissamment, relevant leurs yeux vers ce ciel alourdi par d’énormes nuages sombres obscurs, ténébreux et menaçants, presque accessibles tant ils vous écrasaient par leur oppressante grandiosité, qu’un hésitant rayon, comme confus de venir contrarier le déluge, laisse transparaître une improbable trêve et annonce une prochaine reddition. Oui ; ils n’avaient plus qu’à attendre et à espérer mes parents. Parce que moi… je n’étais plus soucieux de rien…

Elle leur en causa du soucis, ma belle capricieuse...

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Commentaires
O
J'aurai surement pas du lire a cet instant précis, alors que je rentrais en grosse phase mélancolie incompréhensible, remise en cause de toute ma vie de A à Z mon éducation etc... je lis ton truc a propos d'un pont de l'eau d'un souvenir d'enfant. Moi des souvenirs d'enfance je n'en ai pas, je n'en ai plus en tout cas, mais je sais que tu as très bien écris. c'est très joli à lire, un peu trop dans la longueur et la description mais ça a le mérite d'être tellement doux à lire...
M
Effectivement il y a de la lecture, je vais l'imprimer afin de mieux de lire à mes heures perdues ! Bisous
De Mots En Maux
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