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De Mots En Maux

29 octobre 2009

Combien la passe ?

Sur le trottoir d'en face, j'ai vu une femme errer,
Seule et belle, foulard vieillot autour de la peau.

Sur le trottoir d'en face, j'ai vu un homme s'approcher,
Laid et prédateur, les mains enfouies tout au fond de son manteau.

L'homme a fait mine de ne pas la voir et pourtant,
Une fois à sa hauteur il a, tête baissée, glissé un mot.

Elle, regard fixement posé sur lui, a répondu,
Par réflexe ou par survie, mais sans l'ombre d'une envie.

Ils se sont enfoncés dans un couloir, sombre et étroit,
Vers le fond d'une arrière-cour miséreuse,
Alcôve libératrice pour lui, payant de son argent,
Geôle pour elle, prisonnière payant de sa personne.

Plus tard ils sont ressortis.
Elle derrière et lui devant, le pas pressé.
Sans un regard pour sa victime et j'imagine,
Sans l'ombre d'un remords pour ce viol consommé.

Sur le trottoir d'en face, j'ai vu une femme errer,
Salie et bafouée, seule à en crever,
Tendant le maigre billet à un deuxième homme,
Tout aussi lâche et encore plus laid que le premier.

De mon trottoir à moi, je l'ai vu lui aussi,
S'éloigner d'un pas pressé, les mains enfouies tout au fond de son manteau.

Je suis allé vers elle et lui ai proposé un café.

De son accent typé elle n'a pas su me répondre,
Autre chose que la triste valeur de son amour tarifé.

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27 juin 2008

A Faire La Guerre

Du bout de mon canon je vois le monde,

Défait par les croyances,

Détruit par les violences.

Dans ma mire, je n’ai d’autre ligne,

Que le défilé sombre des hommes révoltés,

Guerriers d’un autre âge,

Armés jusqu’aux dents,

Cent rebelles en naufrage

Des armées d’un autre temps.

Remplies de sang ne leur appartenant pas

Et de rage semblable à celle de l’autre camp.

Du bout de mon canon j’ai la mort facile,

Magasin bien enclenché,

Mitraille bien épaulée.

Devant, le combattant s’expose,

Malmène la femme prête à donner la vie,

Ne craignant pas les regards,

De toute sa compagnie,

Motivé par un chef,

Bercé par la victoire.

Affolante de gloire pour un village sans nom,

Qu’on abandonnera plus tard pour d’autres horizons.

Du bout de mon canon les ordres sont clairs,

Tenir la position,

Accomplir la mission.

J’ai honte d’être le spectateur inerte,

De n’avoir jamais rien d’autre à faire,

Que de sécuriser mon arme,

Ou alors inspecter,

Si mon pare-balles n’a pas froissé,

Cette tenue de combat,

Portant le blason bleuté.

ONU qu’est-ce que tu fous ?

Je suis un de tes hommes, censés faire la paix.

12 mars 2008

Recette de la gauffre à la carotte

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                                 "Ainsi donc, Cher ami, j'avais à vous entretenir d'une douce recette, celle la même que j'ai su avec légèreté  vous évoquer quelques fois au travers de nos correspondances, malmenant au gré des mes bons désirs vos papilles alléchées et piquées de curiosité.

La voici donc, dans ses moindres détails, livrée à vos yeux que je sais garants des indicibles et secrètes effluves qui s'en dégage. Je n'ai plus qu'à vous dire que seule une recette scrupuleusement suivie au pied de la lettre pourra ravir le palais et les sens  de vos hôtes.

                                        Mettez tout d'abord, avant même de commencer quoique se soit, toute votre ardeur et votre esprit à accomplir la tâche. N'ayez crainte de vous épandre sur la table ou même d'avoir à transpirer.  Il est bien souvent nécessaire de s'employer intensément pour réussir les doux miracles du travail bien fait. J'attire votre attention sur les méfaits du jeune mitron impétueux  qui,  à vouloir ne pas accorder le temps au temps, se fourvoie bien trop précocement dans un échec que nous qualifierons de cocasse. Ne gardez que le meilleur et ravissez, je vous en prie, le palais effrontément gourmand de la délicieuse goulue qui sans se faire prier, se délectera de votre pièce jusqu'à la dernière miette.
                                        Appréciez ensuite chacun des ingrédients s'offrant à vous, et soyez quelque peu créatif. De jolis mets n'ont de sapidité que lorsque saveurs et textures s'entremêlent lascivement. Habile je vous connais, et si vous ne négligez aucun d'eux, vous connaîtrez le contentement du pâtissier satisfait.
                                        Ne choisissez aucunement une médiocre farine. Préférez-la vierge et d'une candeur sans faille. Ainsi blanche et satinée, elle filera le long de vos doigts charnus et pulpeux, à l'image d'une étoffe de soie qui  ne veut pas se résoudre à dévaler le galbe et les courbes des jeunes rosières.  Avec infinie douceur, saisissez alors de gros œufs dorés, en prenant grand soin de les soupeser finement un à un.
                                                Gardez-les dans le creux de vos mains, bien au chaud, et faites les lentement voyager en vous assurant après quelques instants de ce traitement que rien ne vient troubler votre concentration. Car n'oubliez pas ! Afin de monter la pâte, il vous faudra encore bien d'autres ingrédients et bien d'autres attentions indispensables à l'accomplissement de la dite recette.
                                        En tête, ayez à l'esprit que le moindre de vos gestes se doit d'une perfection et d'une certitude sans faille. De la sorte, sculptez une fontaine de farine, en y dessinant en son sommet l'empreinte d'un petit cratère. Humidifiez-le lentement, en y versant par petites touches un lait que vous aurez pris soin de parfumer à loisir. Celui-ci doit se perdre dans le plus petit des méandres du joli mont. Pas le moindre des interstices ne doit lui résister, et pour arriver à vos fins, je vous invite à malaxer vaillamment le tout. Mettez-y.... les deux mains !
         
                                                Z
estes et autres épices se doivent d'être introduits dès lors. Il n'y a rien de répréhensible à ce que certains artifices viennent chatouiller les éminences charnelles que sont nos papilles, mais veillez toutefois à ne pas en adjoindre trop. La discrétion est parfois suffisante. Seule la pincée de sel se doit d'une généreuse largesse. Pour le piquant.
                                        Mettez pour finir la douceur succulente d'un sucre venu de loin.Il fait partie de ces caresses qui viennent parfois vous chuchoter au creux de l'oreille des invitations au voyage et au vagabondage de l'âme. Adoucissez avec une petite portion de beurre. Il a lui aussi des vertus méconnues. Vous en conviendrez d'ailleurs lorsque malmené par la chaleur de votre agitation, il rendra à votre impatiente verdeur toute l'amertume de son fluide et sa forme la plus liquide.
                                                Obtenue de la sorte, votre pâte ne pourra que finir dégoulinante sur l'autel de son supplice brûlant, se gonflant avec espièglerie sous le feu léchant et caressant du moule. Et lorsque le frémissement se fera entendre, aussi subtil soit-il, il sera temps.
                                       
Incorrigible que je suis ! J'ai failli oublier de vous parler du principal ! J'y ai toutefois songé à bien des moments, mais avouez que si j'avais eu à vous parler de carotte délicatement introduite dans la gaufre, vous auriez peut-être eu de moi quelques idées bien légères.

Ainsi donc et pour conclure mes pensées, je vous offre ici le fondement de ma recette, faisant de moi une maître es culinaire, et de vous, j'en suis intimement convaincue, le plus heureux des pâtissiers."
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17 septembre 2007

J'ai Hauts Mes Tris

L'Amour devrait être une chose simple.
Soit, deux points bien distincts.
A et B, qui mènent chacun à leur manière une petite existence toute tranquille.
A et B donnent alors une direction à leurs cheminements respectifs, définissant ainsi deux droites indépendantes l'une de l'autre.

Bien souvent, les droites restent  parallèles, ne se rencontrant jamais.
Parfois, elles ne font que se croiser avec fulgurance, sécantes qu'elles sont, et tracent ainsi deux  perpendiculaires éphémères.
Il arrive néanmoins que ces droites se rencontrent de façon plus assumée et regardent dans la même direction.
Le segment, de longueur variable, vient de naître.
Et si A et B songent vraiment à un alignement infini, le segment se mue en demi-droite

Bien entendu, il faut prendre un peu de hauteur avec tout ça, et regarder les choses sous un autre angle, Galilée ne s'étant pas pris la tête à nous démontrer que la Terre était ronde pour rien (Eratosthène aborda le sujet bien avant, mais je laisse les spécialistes débattre du rôle de chacun dans cette reconsidération du Monde).
La Terre est ronde donc, et si on s'élève un peu, notre demi-droite infinie finirait bien par ressembler à une longue courbe qui s'enroule autour d'un axe, pour former un cercle parfait.
Le cercle.
N'est-ce pas là le symbole de l'Amour, tout simplement ? Nos alliances n'en sont-elles pas la plus belle des preuves ?

Seulement, comme il existe toujours une exception qui confirme la règle, cette brève et simpliste déduction serait bien trop aisée.
Parce que l'Amour ne se résume pas simplement à un point A et un point B. Il y a d'autres variables que nous devons prendre en considération.
C par exemple peut se retrouver parfois inclus sur la même droite, voir même s'en détourner de quelques degrés.
Alors, la triangulation de l'Amour devient d'une extrême complexité tant dans sa définition que dans sa forme. A et B peuvent tour à tour devenir n'importe quel des trois côtés de ce triangle malléable, dessinés à loisir par C qui jongle avec les compromis, les hésitations, les joies, le sexe, les secrets, les enfants,…la Vie.
En fait je suis dans l'erreur (comme à chaque fois que j'ai eu affaire à la géométrie !) car cette vision n'est pas la bonne.
Je devrais parler, non de triangle, mais de parallélépipèdes et autres polyèdres joyeux où s'entre-baisent lignes, médianes, droites, courbes, angles et toutes ces variables qui font que l'Amour n'a pas de forme ! Parce que l'Amour n'a pas de forme !
Ni même de démonstration, et encore moins de définition juste et véritable.

Et puisque mon raisonnement bâclé souffre de trop d'inexactitudes scientifiques - moi qui ai toujours eu une sainte horreur de la rationalité - en tant que point A je préfère m'en tenir au théorème vaporeux et licencieux suivant :

A + B = d'Eux

                         … en référence à mon point B.

26 juillet 2007

Reste Haut Rang

C'est ce soir-là que j'ai compris que je ne pourrais plus t'aimer.
T'aimer dans la perspective de te donner, de te confier mes années à venir et toute la consistance de ma vie.
Comme si j'ouvrais les yeux après tant de temps à n'avoir existé que par toi et que je voyais enfin la médiocre réalité de ma, de notre situation. Mes paupières enfin relevées et la mise au point faite sur toi, j'ai enfin vu ce qui m'avait échappé, ce que dans mon fétichisme inconditionné j'avais complaisamment oublié.
Tout ce que je pouvais détester le plus au monde était en toi, là, devant moi, dans ce restaurant où seul le désir d'être vue et admirée te poussait à parader et à te sertir de ton plus artificieux sourire.

C'est ce soir-là que j'ai compris, en te regardant te défaire lamentablement de toutes les beautés que j'avais su te trouver.
Tes gestes, tes mots, tes attitudes, ta façon de saisir le verre pour le porter à ces lèvres tant baisées aux heures brûlantes de nos ardeurs, tes doigts brisant le pain dans un fracas intenable, le son de ta bouche devenue soudainement hideuse encombrée par la pitance de haut vol qui nous fut servie.

Toi qui étais de haut rang jusqu'à ce soir-là, tu n'avais plus qu'à te mettre au rang...

Pauvre paumée noyée par les flots de flatteries et de courbettes de ta soi disante Cour des miracles.
Sais-tu combien tu as pu ce soir-là me faire comprendre que mon idéal de vie et d'amour n'avait plus aucune place pour toi ?
C'est au moins le seul remerciement que je puisse à ce jour te faire, et si tu venais à tomber par hasard sur ces quelques lignes, souviens-toi qu'en leur temps bien d'autres te furent dédiées, vaillamment placées sous tes yeux aveuglés par l'insoutenable superflu.

Alors si aujourd'hui tu me lis, sache que tu ne le mérites pas.

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27 avril 2007

Dix secondes pour te dire qu'il n'y en a que neuf de bonheur

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Une, je la découvre au petit matin,
Dans ses deux yeux qui s'ouvrent, je vois
Qu'à trois son sourire m'emmène, me guide,
Et qu'à quatre, il me déposera
Sur ses seins que j'aime à caresser
Aussi souvent qu'elle me le permet.
Mais bientôt, cet instant qui va s'achever
Sonnera l'arrivée de ma rêverie détruite.
Alors, demain, comme tous les matins sera neuf
Puisque dans cette nouvelle seconde, il n'y a déjà plus rien qui resplendisse.

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1 avril 2007

Lettre à Mon Amour

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Amour,

Moi qui ai rêvé de vous toute la soirée, je suis au regret de devoir vous
penser encore et toujours. Mais de mon attente, n'ayez crainte, ne naîtra
pas l'ennui.
Je vous imagine, Vous, et Moi, bien meilleurs amants et sans conditions
amis, audacieux caractères et pudibonds personnages, au détour d'un
sentiment numérique dont la simple évocation suffit à étouffer  la vie.
Qu'avez-vous donc fait de moi ma tendre amie ?

Si j'avais à vous faire l'amour, de mon Amour tout entier je le ferais, et
quand bien même cet Amour serait peut-être mort-né, c'est avec toute ma rage
d'aimant que je me livrerais. Mais de faire l'amour, même par Amour, il
n'est pas question entre Vous et Moi. Et puis avouons-le...c'est un peu
chaque soir que je vous fais l'amour. Amour...
Venez donc à Moi, accompagnez cette nuit que je ne veux pas subir seul, et
puis celle de demain, et puis d'autres encore ! Et puis donnez-moi toutes les nuits
que je veux, non par désir puisque je ne sais rien de Vous, et Vous rien de
Moi, juste par Amour.

Amour, violentez-moi de vos troubles, subissez mes assauts et encore plus
usez-moi de vos vapeurs qui embrument mes rêveries, maltraitez ce que je
suis avec la plus tendre des douceurs, d'une exquise caresse que je vous
donnerai, rendez-me la cent fois meilleure, écartelez mes libertés et
entendez le chant d'amour jusqu'à ce que Vous et Moi consommions sans fin
aucune le dernier soupir.
Oh Amour, laissez-moi m'enivrer encore un peu de Vous, vous boire jusqu'à
la dernière goutte, et de Moi réclamez ce que bon vous semble.
Amour, nous nous appartenons l'un à l'autre par simple courtoisie, et si je
ne suis pas Ange, vous n'êtes pas Démon.

Amour, je ne suis sans doute pas le meilleur amant ni même le meilleur ami, mais 
j'ai le mot fidèle, bien plus qu'une simple nuit, et d'une certitude affûtée
je peux vous le dire, j'ai parfois peur de vous toucher tant je vous désire.

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3 mars 2007

L'être à non-amour

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Des heures à l’attendre

Des heures à l’entendre

Et soudain me perdre à oublier

A abaisser toutes mes armes et mes défenses

D’offenses me moquer et d’un renouveau

Légèreté de l’âme retrouvée

Survoler tout ce temps gâché.

Comme un attentat survient alors

Sans l’attendre ni même l’entendre

Eclatant à ma figure et jetant ses éclats

L’effondrement sans fin, la destruction de tout

Si fragiles subtilités de l’envol et de temps de paix

Epais amas de gravats qui me recouvrent

M’étouffent et m’empêchent d’avancer.

Frappé dans ma chair, à l’agonie

Salvatrice lumière qui brillait en elle,

Je t’entrevois au-delà de mes ruines, du décombre de moi

Plus tamisée que jamais, ne t’enfuis pas, reste

Je veux encore te respirer, caresser le doux espoir

Sentir vivre mon cœur, et courir le sang

Ne plus le voir se répandre en m’épuisant vaillamment.

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13 janvier 2007

A Mon Grand-père

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Le jour où je serai vieux, je saurai l'attendre avec patience.

Puis, lorsque le moment sera venu, je l'accueillerai les bras ouverts, comme si je n'espérais que lui. Porté par ses petites jambes, il se jettera dans mes bras grands ouverts en criant "papi !". Alors, moi, vieil homme, courbé par les ans et raidi par le temps, je l'écouterai me dire et me raconter sa vie.

Puis, nos retrouvailles passées, je prendrai sa petite menotte dans ma grosse main de vieux, cassée d'avoir tant vécu, rompue et d'un cuir trop rugueux pour la tendresse de sa jeune soie. D'un pas tranquille, main dans la main, nous nous éloignerions du perron sur lequel les autres s'activeraient à la préparation du repas, passerions par l'étroit chemin qui enjambe le petit potager coloré, et nous dirigerions comme à l'habitude vers une sorte de cache aux trésors bien dissimulée.

Son pas se faisant plus pressant, et les yeux remplis de gourmandise, moi, le vieux, me ferai plus lent, lui laissant l'honneur d'aller se planter devant la grosse porte au loquet grinçant. Réunissant ses petites forces, se grandissant en se mettant sur la pointe des pieds comme pour impressionner ce seuil baigné de la fraîcheur et embaumé par les odeurs d'un vieux garage, il tenterait de débloquer la lourde serrure. Ma main viendrait se poser sur la sienne, et comme si j'arrivais trop tard, je lui laisserai la satisfaction d'avoir réussi son oeuvre « avant que papi ne soit là. »

Alors, le monde recommencerait.

Réunissant tout mon courage de p'tit bonhomme, je laisserai mon grand-père faire le tour du poulailler, et timidement, d'un pas hésitant je m'aventurerai vers l'antre tant convoité depuis le petit matin, cet endroit qui se révélait à moi comme un appel irrésistible à chaque visite. Craintivement, en oubliant même mon rassurant papi, je me collerai le cœur palpitant le long du mur de la cabane qui me faisait si peur. En appui sur une jambe, je me pencherai discrètement pour ne pas éveiller je ne sais quel monstre qui aurait pu dès lors se jeter sur moi avec férocité et sauvagerie. Rassuré par le regard furtif et lointain du grand-père que je faisais mine de ne pas avoir vu pour ne pas lui faire de peine, je pouvais m'engager avec audace dans la cahute et voler sans scrupules les gros œufs dorés. Triomphant, mon encombrant trophée pouvait être présenté à mon chef de guerre, et de son œil complice et satisfait, nous pouvions abandonner la volaille à son triste sort.

La douce odeur âcre et braisée du sarment qui brûle, le crépitement du morceau de viande posé sur la grille, l'éternel rituel annonciateur d'un grand repas.

Assis à sa gauche, du haut de sa stature imposante, il plongerait la main au fond d'une de ses profondes poches de pantalon, maltraité et élimé, pareil à son visage creusé par les tranchées de guerre, violentes et arides, où l'humidité n'avait plus coulée depuis surement bien longtemps. Et c'est d'un geste presque solennel mais authentique qu'il déplierait la fine lame de son couteau. Mes yeux plongés dans son regard céruléen, j'entendrai le craquement de l'épaisse croûte du pain se briser et le tintement des premières cuillères plongées dans les assiettes de soupe. Viendrait ensuite le moment de faire chabrot. Il verserait son verre de vin dans les dernières gouttes de soupe, rincerait son assiette en savourant ce qui avait don de vous rendre un homme fort, et avalerait le tout avec contentement. Je n'étais pas encore homme moi, et ma satisfaction était de savoir mon verre rempli de vin coupé à l'eau, finir mon assiette et me poser les mains sur le ventre, regarder la table se vider de la frénétique agitation qui venait de la faire vivre. Pour faire, presque, comme lui.

Quand je serai vieux, je remettrai ma casquette et sans mot dire je le prendrai par la main. J'irai lui dévoiler d'autres secrets. De ceux qu'on ne peut voir que lorsqu'on en prend le temps. Nous remonterions le petit sentier de la butte, longerions les vignes silencieusement pour finir par nous asseoir là où le cœur nous en dirait. Ses petits bras viendraient enlacer mon cou et nos regards se perdraient dans un lointain animé de quelques hirondelles virevoltantes. Il serait alors temps d'entendre les questions de petit garçon auxquelles l'expérience de toute une vie ne suffit pas à contenter, lui dire que les hommes peuvent être bons et méchants, agités qu'ils sont parfois par d'étranges sentiments, que l'impérial tilleul qui trône au milieu de la cour a peut-être cent ans, et que ce vieil arbre est comme un vieil homme. Alors il me demanderait pourquoi le ciel rougit, pourquoi suis-je si vieux et si lui aussi aura un jour cent ans. De ma sagesse d'ancien, je lui demanderai de m'aider à me relever, et de se souvenir que l'amour ne se dit pas toujours…

Je lui donnerai un baiser à mon papi.

Pour finir, nous irions sous un ciel s'éteignant rejoindre les autres. Une dernière halte auprès d'un rang de vigne pour faire un pipi d'homme, et se dire sans se le dire que tout retourne un jour ou l'autre à la terre.

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Le jour où je serai vieux, je saurai l'attendre avec patience. Puis, lorsque le moment sera venu, je l'accueillerai les bras ouverts, comme si je n'espérais que lui. Porté par ses immenses ailes, je me jetterai dans ses bras grands ouverts en soufflant mon dernier cri.

Alors, moi, vieil homme, courbé par les ans et raidi par le temps, je partirai.

Le cœur tranquille.

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1 janvier 2007

Les Yeux

Les_Yeux

(tableau reversible)

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De Mots En Maux
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