Reste Haut Rang
C'est ce soir-là que j'ai compris que je ne pourrais plus t'aimer.
T'aimer dans la perspective de te donner, de te confier mes années à venir et toute la consistance de ma vie.
Comme si j'ouvrais les yeux après tant de temps à n'avoir existé que par toi et que je voyais enfin la médiocre réalité de ma, de notre situation. Mes paupières enfin relevées et la mise au point faite sur toi, j'ai enfin vu ce qui m'avait échappé, ce que dans mon fétichisme inconditionné j'avais complaisamment oublié.
Tout ce que je pouvais détester le plus au monde était en toi, là, devant moi, dans ce restaurant où seul le désir d'être vue et admirée te poussait à parader et à te sertir de ton plus artificieux sourire.
C'est ce soir-là que j'ai compris, en te regardant te défaire lamentablement de toutes les beautés que j'avais su te trouver.
Tes gestes, tes mots, tes attitudes, ta façon de saisir le verre pour le porter à ces lèvres tant baisées aux heures brûlantes de nos ardeurs, tes doigts brisant le pain dans un fracas intenable, le son de ta bouche devenue soudainement hideuse encombrée par la pitance de haut vol qui nous fut servie.
Toi qui étais de haut rang jusqu'à ce soir-là, tu n'avais plus qu'à te mettre au rang...
Pauvre paumée noyée par les flots de flatteries et de courbettes de ta soi disante Cour des miracles.
Sais-tu combien tu as pu ce soir-là me faire comprendre que mon idéal de vie et d'amour n'avait plus aucune place pour toi ?
C'est au moins le seul remerciement que je puisse à ce jour te faire, et si tu venais à tomber par hasard sur ces quelques lignes, souviens-toi qu'en leur temps bien d'autres te furent dédiées, vaillamment placées sous tes yeux aveuglés par l'insoutenable superflu.
Alors si aujourd'hui tu me lis, sache que tu ne le mérites pas.